𝕭𝖆𝖉 𝕮𝖆𝖘𝖘𝖊

Depuis quelques années je m’intéresse à la typographie (dans sa conception et son utilisation, mais plus sa conception quand même), j’articule assez souvent mes projets dans un choix typographique attentionné. Alors en début d’année, quand il a fallu se grouiller à trouver un sujet béton pour le jury et le mémoire, j’ai foncé dessus, en plus ça fait très pro, la typo, puis ça mélange pas mal de choses niveau technique.

Evidemment ça aurait été trop simple de proposer un projet au titre de “typographie” et au sous-titre “expérimentation de la typographie”, mais j’avais pas grand chose qui me venait à l’esprit, dans le style purement typo… alors il fallait que je trouve un truc, un concept un peu délirant pour rendre le sujet unique, atypique. Heureusement pour moi j’ai beaucoup de passions, donc en trouver une deuxième n’a pas pris longtemps.

J’ai regardé d’un côté ce que j’avais côté graphisme : la typo (de fait), puis j’ai regardé ce que j’avais côté délirant : ma sœur Natacha, trisomique, qui n’avait rien demandé à personne. Mon sujet était tout trouvé. 

Nos expérimentations typographiques du dimanche avec Natacha (qui n’avait toujours rien demandé à personne) ont vite laissé place à la découverte des ateliers spécialisés en art spécialisé. Je suis allé à La «S» Grand Atelier et à Zone-Art où j’ai commencé par faire de l’observation, en support à mon mémoire, surtout. Puis après quelques jours d’immersion à La «S», on a commencé les collaborations, parce qu’être assis sur une chaise à regarder les gens travailler c’est chiant puis ça fait passer pour quelqu’un de chelou. Avec Gaby on a fait des textes et des dictées, avec Florent on a fait des logos et des logotypes, avec Fifi on a fait de la mise en page et avec Jean on a fait des abécédaires. 

Même si les résultats étaient là, même si le courant passait très bien et même si j’avais des idées pour une suite, je sentais qu’on tournait en rond, un peu, et je sentais aussi que je n’étais pas le seul à penser ça. Alors j’ai décidé de laisser ce sujet très théorique qu’était l’expérimentation typographique pour ce support très théorique qu’est le mémoire. Sans transition on a laissé derrière nous les pleins et les déliés pour s’attaquer aux pots d’échappements et au bitume brûlant. 

J’ai beaucoup de passions, je l’ai dit plus haut et une qui me fascine depuis longtemps et qui grandit de plus en plus, c’est celle des Courses de Côtes. Il y en a une à pas 10km d’ici. A vrai dire dès le départ je voulais lier cet univers aussi au projet, mais je m’en étais retenu par peur de ne pas traiter un sujet assez sérieux ou profond (avec le recul, la peur était complètement con). 

Puis au final je n’ai pas eu beaucoup de mal à convaincre les artistes avec qui je travaillais à se laisser embarquer dans ce nouveau thème, et ça m’a boosté à fond. Avec Jean et Florent on a commencé directement à travailler des logos sur tissu pour se construire des salopettes de coureurs. Aux ateliers Zone-Art, on a d’abord expérimenté sur papier, avec Marie, Alain, Audrey, Nicolas, Yves, Didire, Philippe et Cindy puis avec Marie on a commencé sur de la carrosserie et avec Didire, sur du tissu.

C’est malheureusement au moment où tout commençait à rouler vraiment bien qu’on s’est pris le coronavirus dans la face. 

Le titre, Bad Casse fait donc référence à ce projet typo (casse) qui s’est un peu pété la tronche (bad), à ce côté détournement gauche (bad) de pièces autos (casse) et à cet univers de passion – sport moteur (bas de caisse).

Dans un premier temps, donc, j’ai travaillé la typo. Avec Jean et Florent on a fait quelques journées où on se concentrait sur les lettres, on cherchait des alphabets cools à reproduire, pas trop compliqués, mais pas trop simples non plus.

J’ai édité la typo de Jean, et vous pouvez la tester en cliquant sur ce lien. Elle est inspirée d’une typo bâton, c’était de l’Arial, ou de l’Helvetica, je ne sais plus trop, mais au final elle ressemble fort à son écriture habituelle, celle qu’on retrouve dans ses dessins, et c’est tant-mieux.

La typo de Jean, Jeannot.otf (c) Jean Leclercq & Baptiste Saint Levaux

Puis s’est passé la transition brusque, le début des hostilités, le moment où je suis parti grave ART CONTEMPORAIN.

Avec mon père on a pris la camionnette et on est allés à la casse, à Jupille (chez Nols, allez y, ils sont super). On a demandé au bonhomme pour rentrer sur le terrain et il nous a ouvert le grand volet de l’entrée puis nous a laissé nous garer et faire un tour de son cheptel à carcasses pendant qu’il réglait deux autres clients. A son retour j’avais eu le temps de repérer une magnifique VW Polo Fox Coupé de 1993, rouge, à peine marquée par le temps (si ce n’est les clinches manquantes, dû au fait qu’elles coûtent une blinde) le genre de bijoux rare et populaire qu’on trouve à la fois partout et nulle part. Il a pris son clark, a levé la bagnole comme on rien et l’a conduit jusqu’à l’atelier de découpe. Une douzaine de minutes plus tard, la camionnette était pleine de portières, capot, hayon rouges et un pare-choc de Renault Clio noir gratos en plus. 

Un coup de simonis et deux semaines plus tard, à Heuzy, Marie Steins commençait à peindre des logos sur la portière droite. Philipps, 3M, Sparco. Un début de crise sanitaire et trois semaines encore après, les pièces étaient de retour dans mon garage, vouées à ne jamais accomplir ce pourquoi elles avaient parcouru temps de kilomètres à travers le bocage. 

Dans un premier temps, j’ai voulu continuer ce travail inachevé, tué dans l’oeuf. J’ai donc repris les tests logographiques des ateliers et après une couche de primaire je les repeignais sur la carrosserie. Mais ce n’était pas l’histoire que je voulais raconter, ce n’était pas le résultat que je voulais. Alors j’ai pris ma ponceuse et j’ai niqué la face à mes logos. Je leur ai niqué la face comme le coronavirus et son ami le gouvernement ont niqué la face aux artistes et aux personnes handicapées, à ce jour, pour une grande majorité, encore confinés ou gravement précarisés. Sans temps, sans moyen, il n’y a rien, c’est le message que je veux faire passer, en attendant de pouvoir continuer comme il se doit ces pièces.

Les portières, Live Fast Die Young (c) Baptiste Saint Levaux

Après, je ne pouvais pas laisser uniquement mon dégoût pour la situation s’accaparer tout le projet et représenter le travail que je peux et veux fournir.

J’ai donc suivi ma route et continué les pièces en cours. Tout près de La «S», il y a un déstockage de la Croix Rouge, un déstockage ou un seconde main, je ne sais pas vraiment comment il faut l’appeler. Quoi qu’il en soit j’y avais acheté deux bleus de travail estampillés Fonds Forestiers avec un sapin au milieu du badge, une fois qu’on y était allé avec Gaby et d’autres de l’atelier… au départ je voulais les garder, d’ailleurs je les ai mis quelques fois, mais j’avais l’air un peu con avec, alors je les ai utilisés pour coudre des badges. 

La première je lui ai tricoté que des logos de grosses pompes à essence dessus, pour faire une veste où on se sent vraiment à l’aise dedans.

La deuxième c’était plus un projet coup de cœur avec des marques qui me parlent, qui me définissent, un peu. La levure fraîche Rapunzel, les friteuses Seb, les chaussettes Lotto, …

Les bleus de travail, Logoland (c) Baptiste Saint Levaux

Pendant le même temps j’ai refais aussi des bannières publicitaires, parce que j’aime travailler les grands formats. Toujours en tissu et acrylique, j’ai amené de la texture aux aplats de couleur avec l’aérographe, une technique que je ne maîtrise pas encore et qui me permet de créer de l’erreur sans la forcer et donc de donner à ces pièces du mouvement, de la vie, une imperfection qui rajoute du capital sympathie.

Les banières, Logoland (c) Baptiste Saint Levaux

J’ai longtemps hésité à utiliser les badges qu’on avait fait ensemble avec Florent et Jean. J’aurais voulu les garder jusqu’à la reprise des ateliers, pour pouvoir en faire plein d’autres et les coudre ensemble sur une belle veste. Mais ça aurait été con de pas les montrer aussi, parce qu’ils sont vachement cools. Alors je les ai cousu sur un futal que j’ai trouvé aussi en seconde main (mais à Herstal cette fois ci).

Quand on reprendra les ateliers, si on continue le projet, je les découdrai et on les réagencera sur une belle veste, ou on continuera le futal au pire… à voir.

Le futal, Logoland (c) Florent Talbot, Jean Leclercq & Baptiste Saint Levaux

Ici c’est une reprise d’un logo que Didire (Didier Leroy) avait fait pendant un atelier où j’étais là, à Zone-Art. C’était d’ailleurs pendant l’atelier ou on a commencé la portière avec Marie et c’est plutôt Patrick (qui dirige les ateliers) qui avait accompagné Didier dans sa réalisation de badge, puisque moi j’étais trop occupé à m’extasier de la peinture sur carrosserie. Le vrai logo, celui de Didire, il est encore mieux, mais il est pas fini, alors je ne le montre pas. Quand on aura repris les ateliers et qu’on aura fini le projet pour du vrai, alors on l’exposera, beaucoup et partout.

Là j’ai surtout repris son écriture (c’est la même – à peu près – que celle qu’il y a sur le capot… normalement je devais la poncer aussi, mais ça m’aurait trop brisé).

La reprise, Logoland (c) Didier Leroy & Baptiste Saint Levaux

Après tous ces essais, toutes ces exploration et reprises en textile, il fallait que j’attaque mes dernières pièces.

En manipulant avec 0% de précaution mes salopettes de travail neuves et onéreuses, j’ai pu découvrir la joie de renverser un pot d’encre de chine sur du tissu (au final on le voit pas beaucoup sur la photo… On peut en voir un peu sur la braguette de la ALE Teledis). Pendant un petit moment cette grossière erreur m’a hanté. Tant que je n’approchais plus les salopettes, de peur de les amocher encore plus. Parfois je me disais que je pouvais le faire passer pour exprès en disant par exemple : « j’ai voulu imiter une tâche de cambuis », mais je ne me convainquais pas moi-même.

Alors quand j’en ai eu marre de les voir traîner dans leur emballage sur mon bureau, j’ai décidé d’assumer ma bêtise, et d’en prendre parti. Je l’ai dit plus haut, que j’avais utilisé l’aérographe pour laisser l’erreur se produire sans la forcer, et bien ici c’est pareil. J’ai décidé d’utiliser ces encres pas super adéquates au tissu qui nous sont tombé dessus à mes salopettes et moi, pour laisser cet aspect fait main habiter les badges.

Pour ces pièces j’ai aussi décidé de ne faire que des logos régionaux. Parce que quand on regarde les Courses de Côtes, c’est ça. C’est pas seulement des voitures qui font du bruit et qui blairent l’essence deux-temps. C’est aussi des symboles régionaux, des traces de notre identité. Ce sont des hommages ambulants, à notre société, à nos jeunes entrepreneurs. 

Alors j’ai sorti mes bottins de Basse-Meuse / Pays-de-Herve, j’ai tiré tout ce que je trouvais beau et j’ai laissé l’encre parler.

Les salopettes, Logoland (c) Baptiste Saint Levaux

Toutes les photos des pièces textiles, je les ai faites chez Nols, la casse de Jupille (allez y, c’est super).

Bref.

Il y avait aussi, au travers de ce projet, une envie de faire découvrir ce sport auto, autant au grand public qu’aux passionnés eux-mêmes, il fallait alors jongler entre différents récits, historiques, règlements, anecdotes, archives pour donner une vision à la fois large et précise de ce qu’est l’univers de ces courses. Le recueil, uniquement composé de textes glanés sur des blogs, gazettes et sites officiels à caractère sportif automobile franco-belge, ne contient volontairement aucune image.  Ce choix est motivé par une volonté du prix le plus bas (un compromis où l’image serait imprimée, mais en noir et blanc ne me paraissait pas envisageable).

40 pages / 25cm x 18cm

 

Le livre, Drifts & Pains-saucisses (c) Baptiste Saint Levaux

J’aimerais remercier tout particulièrement Patrick Perin, Anne-Françoise Rouche et les équipes de La «S» Grand Atelier et Zone-Art de m’avoir accueilli dans leurs ateliers. 

Aussi Jean Leclercq, Florent Talbot, Philippe Marien, Gabriel Evrard de La «S». Marie Steins, Alain Magnée, Audrey Fernandez, Nicolas Chandrinos, Yves Defauwes, Didier Leroy, Philippe Goebels et Cindy Lejeune de Zone-Art, pour ces moments inoubliables que j’espère revivre. 

Un autre grand merci à mes parents pour leur investissement et la force mentale dont ils ont fait preuve face à ces portières rouges encombrantes.

Maintenant je vous laisse, je vais faire de la pâte-à-sel avec ma sœur.

Le lien vers mon site :
saint.cool

Des liens vers ce dont j’ai parlé :
La «S»
Zone-Art

Comprendre la Course de Côte :
Trasenster

La casse :
Autorecyclage Nols